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Félicien Creuchet : faire des choses qui ont un sens et qui servent la population

Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 28 avril 2024

Ce nouvel épisode du cycle de témoignages « La communication responsable en action » met en lumière Félicien Creuchet, jeune consultant engagé dans une organisation publique et plusieurs associations.

Extraits :

« J’ai entendu parler du rapport du GIEC, à partir de ce moment cela devient difficile de continuer à vivre en ignorant la gravité de la situation, surtout lorsque l’on travaille dans la publicité, qui a une belle part de responsabilité dans la surconsommation et de fait la crise climatique »

« Ce qui a changé par rapport à avant c’est le mindset, en agence on te demande de détecter un insight et d’en faire une opportunité business. […] Aujourd’hui mon objectif est d’informer les gens sur des problématiques écologiques. Le point de départ est un constat scientifique, et l’objectif est de faire connaître les solutions qui peuvent permettre d’améliorer le problème. La vraie différence c’est qu’on fait des choses qui ont un sens qui servent la population, je suis bien plus aligné avec moi-même et c’est non négligeable. »

« La difficulté aujourd’hui d’un point de vue professionnel c’est d’acculturer nos interlocuteurs, prestataires. […] En agence le sens / la responsabilité c’est du bonus, le principal reste d’avoir des gros budgets, le reste importe peu voire pas du tout. »

« D’un point de vue personnel ce que je trouve difficile au quotidien c’est d’être au centre des sujets écologiques, qui peuvent parfois être anxiogènes. C’est difficile de se dire qu’une campagne de communication peut changer les choses alors que les gens sont assommés de stimuli publicitaires à longueur de journée. Est-ce que l’on a un réel impact sur le monde ? »

« Le conseil que je donnerai est de se lancer. Pas à pas en rentrant dans une association par exemple pour commencer, petit à petit les changements appellent les changements. Être au contact de ceux qui ont basculé permet de basculer à son tour. Lorsque l’on décide de quitter un système cela peut faire peur mais des gens vous attendent de l’autre côté. »

Félicien Creuchet : faire des choses qui ont un sens et qui servent la population

En quelques lignes, pouvez-vous décrire votre parcours et la fonction que vous occupez actuellement ?

J’ai un parcours « classique » dans la communication. J’ai passé un master 2 au Cesacom Paris. Je me suis orienté vers du planning stratégique à l’issue de mes études, j’ai fait des alternances ou stage dans plusieurs agences de pub.

Aujourd’hui je suis chargé de communication dans un organisme public, je développe des campagnes à destination du grand public sur des enjeux de qualité de l’air.

Il faut préciser que je ne me destinais pas à aller vers un acteur public. Le regard que je portais sur la communication ainsi que mes valeurs ont évolué en cours de chemin. C’est important d’élargir sa vision de ce qu’est la communication, selon moi les écoles ont tendance à valoriser certain type de parcours. Finalement le Graal pour un étudiant c’est souvent les grandes agences de publicités, ou les grands annonceurs, c’est dommage car cette vision des choses n’apporte pas un éclairage exhaustif sur la diversité des métiers qui existent et sur les différents rôles que peuvent jouer les communicants dans notre société.

À quel moment avez-vous « basculé » dans une approche plus responsable de votre métier ? Savez-vous ce qui a provoqué votre prise de conscience ?  

J’ai toujours eu une conscience écologique, mais je dois admettre qu’en choisissant la publicité je n’avais pas nécessairement fait le lien entre surconsommation, pub, crise climatique, pourtant il faut bien avoir en tête que la publicité est un outil qui sert à vendre plus, et par conséquent participe presque directement à aggraver la crise climatique.  

La vraie bascule a eu lieu lors du covid. En plein confinement, les prises de paroles des marques pour lesquelles je travaillais, ont évolué. Il est devenu impossible de communiquer sans prendre en compte le contexte sanitaire inédit.

Les briefs que j’ai traité à ce moment portaient tous sur le covid, le confinement. La publicité est devenue un sujet social, nous étions tous bloqué devant la télé à suivre l’évolution du virus, entrecoupé par des pubs devenues anachroniques, déplacées, maladroites. Certain annonceur ont pris la décision de ne plus communiquer, d’autres de profiter de la situation. Nous avons vu des prises de parole habiles, d’autres beaucoup moins, ce qui a mis en exergue les activités « essentielles » et les activités franchement « non essentielles ». Les inégalités sociales, la résistance des acteurs indépendants face au Gafam… Ce moment était incroyable, il a forcé toute la profession à se questionner. De mon côté je ne sais plus exactement à quel confinement, mais j’avais commencé à rédiger un mémoire dont le sujet était le « purpose », j’étais convaincu que toutes les marques pouvaient avoir un but et un rôle à exercer auprès de ses consommateurs, je n’en suis plus si certain aujourd’hui, du moins je crois que c’est une manière trop insidieuse d’envisager la communication.

En me plongeant dans un brief pour un laboratoire pharmaceutique, au cours de mes recherches sur le sujet, j’ai découvert que la crise sanitaire était étroitement liée à des questions écologiques. Une crise sociale, une biodiversité qui s’effondre, une crise climatique globale …

J’ai entendu parler du rapport du GIEC, à partir de ce moment cela devient difficile de continuer à vivre en ignorant la gravité de la situation, surtout lorsque l’on travaille dans la publicité, qui a une belle part de responsabilité dans la surconsommation et de fait la crise climatique.

Concrètement, comment se traduit votre engagement dans votre activité au quotidien ? Avez-vous le sentiment de faire un métier différent d’avant/des autres ?

Après ma bascule, j’ai pris des engagements auprès de moi-même. « À quoi bon travailler, gagner de l’argent si c’est pour le dépenser dans un monde ou il fait 45° l’été, où la montée des eaux détruit le littoral, etc. » J’ai donc pris la décision de ne travailler uniquement pour des acteurs qui enrichissent le monde, plutôt qu’ils ne le détériorent.

J’ai eu le besoin de donner du sens à mes actions. Aujourd’hui je travaille pour un acteur public engagé. J’ai fait le choix « radical » de quitter le monde des agences de publicités. Je suis donc au service de l’intérêt général et cela change pas mal de chose. Je crois que je pourrais me regarder dans le miroir si la situation climatique venait à se dégrader fortement, car j’aurais essayé de faire mieux.

Ce qui est particulier dans mon organisation et particulièrement dans mon service, c’est que nous sommes des acteurs très impliqués dans le cadre métier de la communication. Notre responsable est une personnalité incontournable lorsque l’on parle de communication responsable. À ce titre nous nous devons d’être irréprochables, pas de greenwashing, communiquer au travers des récits plus en cohérence avec la transition écologique, penser des campagnes écoconçues… Je ne peux que vous conseiller de lire le Guide de la communication responsable de l’ADEME qui donne un grand nombre de clefs de réflexion et d’outils opérationnels pour repenser sa manière de communiquer. Venant d’agence de pub « traditionnelles » ces réflexions étaient nouvelles, il faut apprendre à faire son métier différemment.

Ce qui a changé par rapport à avant c’est le mindset, en agence on te demande de détecter un insight et d’en faire une opportunité business … Je vous partage un exemple de brief pour lequel j’ai dû travailler en agence durant le confinement, pour un alcoolier qui ciblait essentiellement les adolescent / jeunes adultes / étudiants. « Comment continuer à parler aux jeunes alors que toutes les sorties et fêtes sont interdites ? ». Avec du recul je trouve réellement que c’est indécent, c’était une période où les jeunes souffraient de l’enfermement, où ils ont été très nombreux à souffrir de dépression, de solitude, pourtant le souci principal de la marque était d’assurer un chiffre d’affaires… La pub est froide et pragmatique…

Aujourd’hui mon objectif est d’informer les gens sur des problématiques écologiques. Le point de départ est un constat scientifique, et l’objectif est de faire connaître les solutions qui peuvent permettre d’améliorer le problème. La vraie différence c’est qu’on fait des choses qui ont un sens qui servent la population, je suis bien plus aligné avec moi-même et c’est non négligeable.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ? Y a-t-il des idées reçues contre lesquelles vous devez lutter ?

La difficulté aujourd’hui d’un point de vue professionnel c’est d’acculturer nos interlocuteurs, prestataires. Nous travaillons avec des agences de communication et agences médias que j’aurais envie de qualifier de « traditionnelles », pour réaliser nos campagnes. Il faut avouer que notre organisation est un client particulier avec des exigences et contraintes spécifiques, cela donne lieu à des situations d’incompréhensions parfois, de réflexion, d’innovation… J’imagine que les briefs qui concernent l’intérêt général restent encore largement minoritaires, les agences ne gagnent pas vraiment leur vie avec les clients engagés / responsables.

Cela me rappelle une anecdote, alors que j’étais en alternance dans une grosse agence de communication, et que j’ai partagé à mon chef de service mon ambition de m’orienter vers des agences de communication responsable et que ça réponse a été « Y’a pas d’argent à faire là-bas, tu ne vas travailler qu’avec des clochards qui n’ont pas de budget »… ça résume bien le mindset des agences de communication, en agence le sens / la responsabilité c’est du bonus, le principal reste d’avoir des gros budgets, le reste importe peu voire pas du tout. On ne s’arrête pas sur l’activité d’un annonceur et ses impacts climatiques je n’ose même pas en parler…

D’un point de vue personnel ce que je trouve difficile au quotidien c’est d’être au centre des sujets écologiques, qui peuvent parfois être anxiogènes. Dans mon organisation, je suis confronté chaque jour aux sujets climatiques, ce qui peut parfois être lourd à porter. C’est difficile de se dire qu’une campagne de communication peut changer les choses alors que les gens sont assommés de stimuli publicitaires à longueur de journée. Est-ce que l’on a un réel impact sur le monde ?

J’ai été marqué par la campagne « dévendeur » de l’ADEME. Cette campagne a suscité de nombreuses réactions dans le débat public, on voit qu’il se passe quelque chose et que cette campagne a bousculé à la fois les entreprises et le rôle de la publicité, faire les deux en même temps c’est fabuleux. Comme le rappelait notre ministre de la transition écologique les messages « publicitaires » sur la sobriété ne représentent que 0,2% de la totalité des messages. Cela donne une idée du chemin à parcourir pour arriver à faire changer les choses.

À l’opposé, quelles sont les satisfactions que vous trouvez dans votre activité ? Où puisez-vous votre énergie ? Est-ce que vous aimez votre travail/activité et pourquoi ?

Pour moi c’est une fierté d’avoir « changé de camp », j’ai le sentiment d’affronter mes responsabilités, à la hauteur de ce que je suis en capacité de faire aujourd’hui. Je crois qu’être citoyen implique de savoir œuvrer pour l’intérêt de tous, tant que possible, c’est ce que m’apporte mon organisation dans mes missions.

Je puise mon énergie dans l’action. Face au consensus scientifique unanime sur la crise climatique, on peut rapidement perdre sa motivation. C’est important de s’entourer de gens qui agissent, qui partagent vos convictions et vos valeurs. C’est valable dans vos activités professionnelles et personnelles, notamment au travers d’associations.  

Il ne faut pas oublier que le rôle de la communication c’est avant tout de faire passer des messages. Une majeure partie du secteur consacre son activité à passer des messages qui incitent à consommer davantage. Mais aujourd’hui il faut rééquilibrer la balance, la société ne doit pas se baser uniquement sur le fait de consommer. Il y a d’autres types de messages à faire passer. Dernièrement j’ai découvert qu’il y’avait des gros enjeux de médiation scientifique, c’est-à-dire faire passer des messages au grand public, c’est très intéressant car on doit traduire un message technique à destination d’un grand public néophyte, un gros travail pour les communicants.

Je suis assez convaincu que le secteur va devoir se transformer au rythme de la transition écologique, comme tous les secteurs soit dit en passant. Le bâtiment, la mobilité, l’alimentation, la technologie, c’est autant de postes à créer pour des communicants responsables, c’est un secteur qui va mener sa métamorphose.

Pouvez-vous nous présenter un ou deux projets/réalisations dont vous êtes particulièrement fier/fière ?

Le projet dont je suis le plus fier aujourd’hui est une campagne que nous avons réalisé avec le collectif Pour un réveil écologique dans lequel j’essaye de m’impliquer sur mon temps libre. « Le Giec dans le métro » pour valoriser le rapport du GIEC.

Le point de départ de la réflexion était qu’il semblait fou d’avoir un tel rapport avec des conclusions si alarmantes et que les services publics, les citoyens, entreprises, les médias, semblaient ne pas en connaître l’existence et ne pas s’y préparer. Lorsque le premier ou le second volet du rapport a rendu ses conclusions, c’est le transfert d’un footballeur qui a mobilisé toute l’attention médiatique. On parle quand même de la survie de l’humanité à l’issue de notre siècle …

Cette campagne a permis de questionner le rôle des médias, le traitement médiatiques qui était fait sur des sujets écologiques, du rôle des institutions publiques dans la gestion de la crise climatique, du rôle des citoyens, du rôle des entreprises …

Cette exposition dans le métro Parisien pendant une dizaine de jour nous a donné l’opportunité de déclencher plusieurs actions, d’ouvrir des dialogues avec différents acteurs, de faire du collectif une référence sur les sujets d’enseignement, mais également des sujets scientifiques, politiques.

Cette campagne a démontré qu’on pouvait dédier une part de l’espace médiatique à autre chose que des annonces commerciales. C’est important de respecter l’intelligence des gens que ce soit dans la rue, à la télé, sur les téléphones. On a le droit et même le devoir d’aborder des sujets de sociétés, pourquoi le privilège de délivrer un message devrait être réservé aux multinationales ? Cela fait 50 ans ou plus qu’on demande aux gens de consommer, les citoyens ne sont pas des machines à consommer … la société a le devoir de donner des clefs de compréhension sur des sujets si importants que la crise climatique.

Avec cette campagne j’ai eu l’impression de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, c’était une démonstration de possibilités, j’espère que cela a contribué à motiver des gens à passer à l’action.

En plus de votre activité professionnelle et de votre investissement associatif, vous avez suivi une formation professionnelle d’ébéniste. Pour quelles raisons ?

Lorsque j’ai pris cette décision, j’étais en quête de sens, dans les métiers de la communication on passe beaucoup de temps sur nos ordinateurs, les choses vont et viennent et finissent souvent par disparaître, c’est très abstrait.

Je me suis donc formé à l’école Boulle en ébénisterie en cours du soir durant deux ans. Je crois qu’à l’heure de la crise climatique à laquelle nous sommes confrontés, il est indispensable de se réapproprier des savoir-faire manuels. Un meuble, ou un objet de mobilier fait avec passion, ça reste, on peut en avoir un usage quotidien, on en retire pas mal de fierté, on peut le partager, c’est une façon d’envisager les choses sur un temps plus long en contournant les mécanismes d’obsolescence de la pub et de la surconsommation.

À la fin, l’objectif étant de devenir moins dépendant de la grande consommation, pour ma part ce n’est pas encore gagné, je vais continuer à expérimenter, peut-être en m’essayant la permaculture, ou bien m’attaquant à l’apprentissage de la charpente, c’est en cours de réflexion.

Pour terminer, avez-vous un conseil à donner ou une idée force à transmettre aux lecteurs de ce blog ?      

Je pense qu’aujourd’hui c’est un devoir pour chacun de s’interroger sur son rôle dans la société, je m’adresse évidemment à ceux qui exercent des activités « non essentielles » et autres bullshit job. A quoi voulons nous consacrer notre temps ? Est-ce que faire fortune dans un monde inhabitable est un choix cohérent ? Est-ce qu’avoir des enfants dans un monde où la biodiversité a disparue a du sens ?

Faire la paix avec ses contradictions c’est possible, mais il faut être courageux et faire des choix. On ne peut pas raisonnablement travailler dans une agence de communication qui contribue à accélérer le dérèglement climatique et à côté manger des légumes pour compenser. Certains y verront une position radicale mais il faut être honnête avec soi-même, en tant qu’habitant de cette planète nous avons tous des responsabilités et la première est de prendre des décisions qui tiennent compte de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Évidemment chacun ira à la hauteur de ce que sa situation personnelle lui permet de faire et au rythme qu’il est capable d’assumer. Mais ces questions là ne sont pas nouvelles et nous n’avons plus 30 ans pour réfléchir.

À la vue des éclairages scientifiques en notre possession aujourd’hui, nous sommes coupables dans l’inaction.

La communication a un rôle à jouer pour la société, mais elle doit soigner sa dissonance cognitive et corriger ses contradictions. On ne peut pas être responsable si on valorise Greenpeace le lundi et Total énergie le mercredi…

Le conseil que je donnerai est de se lancer. Pas à pas en rentrant dans une association par exemple pour commencer, petit à petit les changements appellent les changements. Être au contact de ceux qui ont basculé permet de basculer à son tour. Lorsque l’on décide de quitter un système cela peut faire peur mais des gens vous attendent de l’autre côté.

Dernière chose, je suis un peu peiné aujourd’hui car au sein de mon collectif Pour un réveil écologique, je vois que les grandes écoles prennent pas mal les choses en mains, les étudiants ont une vision plus panoramique et systémique de la société. J’aimerais qu’à leur tour, les écoles de communication mesurent la gravité du problème et change de narrative dans les cursus des étudiants, c’est leur rendre service que de leur donner l’opportunité d’aller vers des métiers qui seront au centre des préoccupations sociales, politiques, économiques d’ici quelques années. Je ne crois pas que ce soit indispensable de former les étudiants à chaque fois qu’un nouvel outil arrive sur le marché, formation tik tok, formation métavers, formation IA … ça n’a aucun sens et ça génère toujours plus de besoins non essentiels.

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