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Ferréole Lespinasse : la sobriété éditoriale pour rester audible dans un paysage saturé d’informations

Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 27 août 2023

Dans ce nouvel épisode du cycle d’entretiens « La #comresponsable en action », nous avons le plaisir de recevoir Ferréole Lespinasse, l’une des spécialistes de la sobriété éditoriale en France et autrice de l’ouvrage « Sobriété éditoriale : 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web ».

Extraits : « J’ai toujours été interpellée par les discours égocentrés et non tournés usager, tout droit hérités de la communication « paillettes ». Beaucoup de blablas pour valoriser des égos, et ce au détriment des publics. C’est à partir de ce constat que j’ai souhaité placer du sens dans l’exercice de mon métier en rédigeant pour répondre aux besoins en informations des publics et non pour s’autocongratuler. »

« La communication prend beaucoup trop de place au détriment même du métier de l’entreprise. Cette injonction à nourrir des algorithmes entraîne une surcharge de travail en interne, alors même que l’efficacité de ces actions reste à prouver. Si tu publies tous les jours, cela peut satisfaire un algorithme dont le but est de s’enrichir et de générer des revenus publicitaires. Mais est-ce satisfaisant pour nos publics ? »

« L’approche par la sobriété éditoriale permet ainsi de rester audible dans un paysage saturé d’informations, en se respectant soi et sa charge de travail, et en respectant la charge mentale de ses publics.»

«J’interroge la pertinence des contenus diffusés ainsi que leur fréquence. J’interroge également la manière d’envisager le digital non pas comme une fin en soi, mais comme un outil au service d’objectifs de communication et qui fait partie d’un ensemble d’autres actions. »

Ferréole Lespinasse : la sobriété éditoriale pour rester audible dans un paysage saturé d’informations

Bonjour Ferréole et bienvenue sur le blog MJ Conseil. En quelques mots, pouvez-vous décrire votre parcours et la fonction que vous occupez actuellement

Depuis 15 ans, j’accompagne les entreprises et institutions en conseil éditorial et rédaction de contenus. Par exemple, j’interviens en refonte éditoriale de site internet pour construire l’arborescence et rédiger les contenus des rubriques, avec un accompagnement en éco-conception.

J’accompagne également des entreprises qui ont besoin de clarifier des propos techniques ou administratifs pour une bonne compréhension par leurs publics
J’interviens aussi sur ces sujets dans le cadre de formations.

J’anime enfin des conférences de sensibilisation en sobriété éditoriale.

À quel moment avez-vous « basculé » dans une approche plus responsable de votre métier ? Savez-vous ce qui a provoqué votre prise de conscience ?

Pour répondre à cette question, interrogeons la notion de responsabilité en communication. La nouvelle édition du guide de la communication responsable de l’ADEME y répond !

J’ai l’intime conviction que cette responsabilité porte sur trois aspects : se respecter soi en tant que communicant ; respecter la charge mentale de nos publics ; réduire l’empreinte énergétique de nos actions.

En ce qui concerne ma première prise de conscience, je dirais que j’ai toujours été interpellée par les discours égocentrés et non tournés usager, tout droit hérités de la communication « paillettes ». Beaucoup de blablas pour valoriser des égos, et ce au détriment des publics.

C’est à partir de ce constat que j’ai souhaité placer du sens dans l’exercice de mon métier en rédigeant pour répondre aux besoins en informations des publics et non pour s’autocongratuler.

Ce qui a ensuite nourri mes prises de conscience, ce sont la surcharge de travail du communicant et la surcharge mentale de nos publics, pour des résultats produits qui ne sont pas forcément à la hauteur de l’énergie qui a été dépensée. Je m’explique.

Aujourd’hui, il y a une certaine démesure avec la communication.

La communication prend beaucoup trop de place au détriment même du métier de l’entreprise. Cette injonction à nourrir des algorithmes entraîne une surcharge de travail en interne, alors même que l’efficacité de ces actions reste à prouver. Si tu publies tous les jours, cela peut satisfaire un algorithme dont le but est de s’enrichir et de générer des revenus publicitaires. Mais est-ce satisfaisant pour nos publics ? Ces derniers n’auront pas forcément une bonne image de cette publication à gogo si elle n’est pas qualitative et ne répond pas à son besoin.

Une récente enquête de la Fondation Jean Jaurès souligne que face à la saturation d’information, 77% des Français déclarent qu’il leur arrive de limiter ou même de cesser de consulter les informations, dont 27 % régulièrement.

Ces chiffres interrogent nos métiers et notre responsabilité en publiant des informations.

J’anime régulièrement des formations : les participants qui sont des responsables communication en poste partagent à quel point ils sont débordés de travail avec toutes les plateformes à alimenter et les prises d’expression possible.

Quant aux entrepreneurs que je forme, ils ont très peu de temps pour communiquer. Leur mission première est de s’assurer que le service/produit qu’ils proposent fonctionne et répond au besoin usager. Non pas de scruter des likes !

L’approche par la sobriété éditoriale permet ainsi de rester audible dans un paysage saturé d’informations, en se respectant soi et sa charge de travail, et en respectant la charge mentale de ses publics.

Concrètement, comment se traduit votre engagement dans votre activité au quotidien ? Avez-vous le sentiment de faire un métier différent d’avant/des autres ?

Je pense que mon engagement se traduit par l’envie de répondre aux vrais besoins du client, en tout premier lieu. En l’aidant à distinguer ce qui est nécessaire à l’atteinte des objectifs, de ce qui est inutile.

J’interroge la pertinence des contenus diffusés ainsi que leur fréquence. J’interroge également la manière d’envisager le digital non pas comme une fin en soi, mais comme un outil au service d’objectifs de communication et qui fait partie d’un ensemble d’autres actions.

Je ne cherche pas à pousser le client à la surconsommation de contenus, pas plus que je ne cherche à le retenir. D’après moi, un accompagnement réussi, c’est lorsque le client devient autonome.

Une autre part de cet engagement est le blog Cyclop Éditorial que j’anime depuis 2013. À destination des pairs, je partage des éléments structurants pour la profession, notamment autour de la sobriété éditoriale : interview d’experts, retours d’expériences basés sur mon approche terrain ou retours sur des ouvrages majeurs de la profession. Aujourd’hui, je publie 6 articles de fond par an.

Enfin, je m‘engage envers moi-même, à être en adéquation avec les missions que je mène. Je n’hésite pas à refuser des contrats, aussi rémunérateurs soient-ils, ce qui me donne une grande liberté. Je me sens très alignée avec mon métier.

Aujourd’hui, parmi mes critères d’acceptation du projet, figurent en premier lieu, l’intérêt de la mission, les valeurs défendues par la personne avec qui je collabore et la proximité géographique.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ? Y a-t-il des idées reçues contre lesquelles vous devez lutter ?

Aborder la sobriété demande beaucoup d’enthousiasme, car faire moins peut convoquer une peur du manque, également la peur de ne pas faire comme les autres.

Le discours sur la sobriété n’est pas habituel et va à l’encontre des préconisations mainstream. Il est donc parfois délicat de le porter face à certains publics qui peuvent être récalcitrants, voire mettre en doute le propos. Par exemple, l’une des peurs exprimées qui témoigne d’idées reçues à ce propos serait la peur de publier moins, qui pénaliserait le référencement et nuirait donc à la visibilité sur les réseaux sociaux…

C’est aussi une perpétuelle remise en cause en communiquant. « Est-ce que ce que je dis est utile ? »

À l’opposé, quelles sont les satisfactions que vous trouvez dans votre activité ? Où puisez-vous votre énergie ? Est-ce que vous aimez votre travail/activité et pourquoi ?

Me concentrer sur la sobriété éditoriale donne beaucoup de sens à mon activité.

Depuis quelques années, avec le blog et plus récemment avec mon livre, je reçois de nombreux messages de soutien de la part de personnes très différents : professionnels en activité, étudiants, prospects. Cela m’apporte beaucoup d’énergie !

Pouvez-vous nous présenter un ou deux projets/réalisations dont vous êtes particulièrement fière ?

Sans hésiter, mon livre Sobriété éditoriale : 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web qui est sorti en mai 2022.

Ce livre est un guide de bonnes pratiques pour des contenus plus responsables qui s’appuie sur la structure des 115 bonnes pratiques d’écoconception web de Frédéric Bordage.

D’après les nombreux retours, ce livre est apprécié pour son côté utile, concret et pragmatique. Il manquait un pendant éditorial aux approches d’écoconception web et j’ai l’impression d’y avoir contribué.

Concernant des clients que j’ai pu accompagner, je suis fière de plusieurs réalisations. Par exemple, après avoir réduit ses supports de communication par 2, un magasin bio a maintenu son taux d’ouverture à 60% et sa fréquentation en boutique est restée inchangée.

Autre exemple : un client qui a supprimé 60% d’actualités sur son site – dont 70% de photos et médias – a noté une perte de trafic. Mais comme d’autres clients, il était prêt à assumer cette décroissance si cela induit de ne donner que de l’information actuelle et à jour.

Autre cas, la refonte du site d’un client qui lui a permis de passer de 792 pages à 529 pages, mais d’augmenter le temps de lecture de 2 à 6 minutes et les visites de +78%.

Les clients que j’accompagne sont de différents types (industriels, BTP…) mais sont tous en demande d’une communication qui reflète leur engagement.

Pour terminer, avez-vous un conseil à donner ou une idée force à transmettre aux lecteurs de ce blog ?

Et si nous transformions la communication ? Pour que la communication de demain aide les individus à se concentrer sur des besoins fondamentaux et non artificiels, à distinguer ce qui répond à des besoins versus des envies ?

Et si nous contribuions à façonner un numérique pertinent, protecteur, collectif et ancré dans le territoire au-delà de la vision techno-centrée actuelle ?

Voici profondément ce qui m’anime dans l’exercice de mon métier et que je souhaite partager avec le plus grand nombre.

Pour une communication fidèle à ses origines « rendre commun » et ancrée sur du bon sens.

Pour contacter Ferréole, rendez-vous sur son profil LinkedIn.

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