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Humour et développement durable
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 20 septembre 2011
En partenariat avec Adwiser, l’Ademe a lancé une étude afin d’éclairer le débat sur l’efficacité, l’acceptabilité et aussi des limites du recours à l’humour dans les stratégies de communication sur le développement durable. Elle s’appuie sur trois ressources différentes : une analyse de campagnes publicitaires, des entretiens avec des groupes de citoyens et des avis d’experts. Les résultats ont été publiés en septembre 2011. En voici les principaux enseignements.
Sympathique, caustique, satirique ou absurde, il existe quatre formes humoristiques qui sont analysées et illustrées dans le rapport de l’Ademe (PDF).
Humour sympathique : informer et attirer l’attention
Forme d’humour la plus consensuelle puisque proposant de rire ensemble (plutôt que de rire de), l’humour sympathique provoque souvent plus le sourire que le rire. Ainsi, le procédé humoristique constitue une fin en soi : calembour, métaphore, intertexte, travestissement…
Cette forme humoristique est employée autant par les marques que par les associations et se caractérise par une prise de parti faible permettant l’adhésion du plus grand nombre.
Elle est soumise comme les autres au présupposé du décodage et son succès dépend en grande partie de l’adhésion du public aux références proposées et à la légitimité du porte-parole choisi : une dimension clivante (j’aime/j’aime pas) à prendre en considération.
Humour caustique : provoquer la prise de conscience
Ces communications cherchent avant tout à pousser le récepteur dans ses retranchements en lui montrant ce qu’il n’a pas envie de voir, l’humour agissant dans ce cadre là comme un facilitateur. Humour trash, rire jaune : un humour un peu grinçant qui lui non plus ne provoque pas la franche rigolade.
Cette forme humoristique est plutôt réservée aux messages militants, aux associations, aux grandes causes pour lesquelles il faut choquer pour susciter une prise de conscience et faire agir – une démarche plus complexe que dans une approche d’incitation marchande.
Le parti-pris « trash » peut parfois heurter la sensibilité du public.
Quelques précautions facilitent l’adhésion au message :
- Un constat initial admis par tous (la nature subit l’impact humain).
- La valorisation d’un bénéfice pour soi (la plage propre) plutôt que seulement un bénéfice pour la Nature (la plage non polluée…).
- Un message qui certes dénonce un comportement individuel (et donc accuse) mais qui n’impose pas une contrainte forte dans la modification de son comportement (= juste faire ce qu’on devrait faire).
Humour satirique : renforcer la connivence
Ensemble des stratégies humoristiques qui impliquent un « bouc émissaire », celui au dépend duquel le rire est possible : se moquer des codes du DD, des fausses solutions ou encore des cyniques. Une moquerie qui implique un véritable parti pris en termes de valeurs et qui peut donc se révéler segmentant.
Cette forme humoristique est assez utilisée par les publicitaires, notamment au service des marques, dans la mesure où elle joue sur une proximité idéologique avec le récepteur.
Mais l’étude qualitative confirme la nécessité d’être particulièrement prudent dans son maniement tant elle peut avoir des effets contre-productifs :
- Une présence de preuves nécessaires à l’acceptation de cette forme d’humour (souci de légitimité de la marque).
- Un second degré qui doit être le plus explicite possible, notamment en s’appuyant sur une narration simple et un lien évident à l’argument de l’émetteur.
Humour absurde : générer l’adhésion
Le raisonnement par l’absurde, comme forme de raisonnement logique,
permet de démontrer la vérité d’une proposition en prouvant l’absurdité d’un comportement contraire ou en montrant la fausseté d’une autre proposition en en déduisant logiquement des conséquences absurdes. Dans le cadre du développement durable, il s’agit de pousser les comportements négatifs ainsi que leurs conséquences à l’extrême afin de démontrer leur non sens.
Cette forme humoristique vise à la prise de conscience de manière adoucie par rapport à une prise à partie frontale d’une catégorie identifiée de la population.
Comme pour l’humour caustique, la distance idéologique supposée avec le récepteur implique un risque que le message pose son émetteur en donneur de leçons. Deux conséquences à cela :
- Une position mieux admise de la part des associations et des institutions, qui constituent de fait les principaux utilisateurs de cette forme humoristique.
- Mais une posture qui provoque souvent un rejet du récepteur qui se sent dès lors attaqué et contraint (d’autant plus quand l’humour qui permettrait de relativiser n’est pas perçu), avec pour conséquence une auto-justification de ses mauvais comportements et un report de la responsabilité sur autrui.
Une autre difficulté que peuvent rencontrer ces stratégies réside dans la trop grande distance induite par la mise en scène de conséquences à long voire très long terme. Un risque de maintenir le développement durable dans une problématique abstraite.
Cette forme humoristique peut cependant être sauvée par une transfiguration positive du constat désastreux via la valorisation des comportements à adopter.
Ce qu’il faut retenir
Un choix de la forme humoristique qui s’opère, consciemment ou non, en fonction de la nature idéologique de l’émetteur et de la manière dont il veut amener le destinataire à adopter son opinion :
- Des approches dans la proximité et la facilité (connivence autour de valeurs communes), souvent privilégiées par les marques, qui s’appuient sur des valeurs partagées assez incontestables.
- Des approches plus dans la distance (prise de conscience critique sur un état des choses et nécessité de faire agir le citoyen), souvent privilégiées par les associations et les institutions qui peuvent revendiquer un point de vue différent de celui du récepteur et chercher à le partager.
La principale difficulté identifiée dans le maniement de l’humour reste le risque d’incompréhension, qui peut aboutir à un malentendu sur les intentions de l’émetteur et aboutir à des effets contre-productifs :
- Des approches littérales, assez explicites quant au parti pris de l’émetteur, qui limitent donc les risques d’incompréhension.
- Des approches au second degré qui peuvent générer plus de connivence mais nécessitent un certain nombre de précautions pour s’assurer de l’intelligibilité du message : gag simple, lien explicite entre la situation comique et l’émetteur et pas de mise en scène qui pourrait être perçue comme une mise en accusation du récepteur.
Quelques règles issues de l’analyse sémiologique semblent ainsi s’appliquer en fonction de la forme humoristique :
- Humour sympathique : que l’émetteur soit identifié comme légitime, que la référence commune soit bien choisie, en phase avec le public cible et que l’émetteur.
- Humour caustique : que l’émetteur soit légitime pour prendre une parole assez dure et que la distance instaurée par ce type d’humour ne risque pas trop de générer un blocage peu constructif (plus rien à faire).
- Humour satirique : que la caricature soit évidente, que le second degré soit immédiatement saisi et qu’aucune partie du public cible ne risque de s’identifier au bouc émissaire (ne pas blesser une partie des recepteurs).
- Humour absurde : que l’émetteur ne reste pas dans le simple constat d’un état des choses (à déplorer) mais propose impérativement une solution concrète au-delà de la dénonciation de l’absurdité de la situation.
Quelques règles issue des éclairages par les groupes qualitatifs
semblent ainsi s’appliquer de manière plus générale :
- Parler concret…
- Tant sur l’impact sur la nature que sur l’humain, l’individu.
- Et ne pas se contenter d’un constat.
- Mais expliquer quoi faire et comment
- Toujours en mettant en scène concrètement les effets, les résultats, les bénéfices et gains pour la nature et l’individu.
Vignette : © Daniel Flower
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