Article
Charlotte Le Gavrian : permettre aux entreprises de renouer avec leur dimension vivante
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 10 janvier 2023
Pour ce premier témoignage de l’année 2023, le 28e de la série « la #comresponsable en action », je reçois Charlotte Le Gavrian, planneur stratégique et pelleteur de nuage. À l’occasion de notre prise de contact, Charlotte m’expliquait qu’elle se retrouvait la personnalité du commissaire Adamsberg des romans de Fred Vargas : « je me sens confortable dans ce concept neutre de pelleteur de nuage, descriptif d’une manière de penser qui est une action », « il me permet de dépasser le statut de planneuse stratégique, qui renvoie à une attitude d’organisation en silos et passive, alors que je déborde d’énergie créative ».
Extraits : « J’emploie mes connaissances et compétences avec la conscience de ce qui se joue, et donc en prenant mes responsabilités économiques, sociales et morales. » « J’ai l’espoir que la conscience collective de ce qui peut être fait, de ce qui ne peut pas être fait et des limites à nos actions… va faire bouger le quoi et le comment échanger, communiquer… faire société de demain. »
« Je me rends compte que la raison d’être des entreprises, pour aussi nécessaire, sincère et émouvante qu’elle puisse être, reste une déclaration. »
« J’aime mon métier quand l’effort de conceptualisation de l’existant produit une idée stupéfiante : une idée qui peut faire vibrer de l’intime à l’universel, un peu comme la poésie… Une idée assez belle pour tout à la fois émouvoir et modifier l’état de conscience : ouvrir à de nouveaux comportements et désirs. J’aime mon métier quand le mot ou l’image de la marque, ouvre sur un possible sincère pour l’entreprise et ses publics. J’aime mon métier quand il met en lumière des comportements émergents et que l’on comprend combien ils sont en fait archaïques et nécessaires. J’aime mon métier quand il permet aux entreprises de renouer avec leur dimension profondément vivante. »
Charlotte Le Gavrian : permettre aux entreprises de renouer avec leur dimension profondément vivante
Bonjour Charlotte. Merci d’avoir accepté mon invitation. En quelques lignes, pouvez-vous décrire votre parcours et la fonction que vous occupez actuellement ?
En collaborant avec les marketeur·es et designer·es, je conceptualise la logique entre l’identité, l’action et le discours des marques en branding (logotype, identité graphique, site-web, packaging, point de vente…) et stratégies marketing / communication. J’ai ouvert Cloud Spotting pour défendre et développer la valeur des entreprises, grâce à des marques performantes. J’ai appris mon métier en agences de design, avec des marques de la grande distribution (distributeurs et industriels de l’agro-alimentaire, DPH). J’ai étudié le management en me spécialisant en marketing des services : comment matérialiser l’expérience vécue ? Lors de mon parcours académique, j’ai été passionnée par les sciences économiques et sociales, les théories du développement et la question de l’éthique dans le « business ». Depuis l’âge de 5 ans, je sais d’où vient l’essence qui sort de la pompe, et je suis étonnée par l’abondance qui déborde des rayons des hypermarchés. J’ai grandi dans la curiosité des « entre les lignes » : ce que l’on ne dit pas car l’interprétation du vide semble évidente, ce vide « sauvage » à cracker pour laisser échapper de nouvelles pistes à explorer. J’embrasse la complexité pour percevoir et expliciter les lignes de forces qui animent les individus, les entreprises et les administrations. Je cultive le goût de la singularité pour opposer à l’assurance du conformisme, la vivacité d’êtres atypiques au monde. Je suis planneur stratégique et pelleteur de nuages.
J’ignore si je fais de la communication responsable, mais je fais en sorte d’exercer mon métier de manière responsable… et pas seulement en préférant un café bio et fairtrade. J’emploie mes connaissances et compétences avec la conscience de ce qui se joue, et donc en prenant mes responsabilités économiques, sociales et morales.
À quel moment avez-vous « basculé » dans une approche plus responsable de votre métier ? Savez-vous ce qui a provoqué votre prise de conscience ?
Mon histoire a été bouleversée en quelques années par la maladie, des naissances et des décès. Le mode de vie où l’on gagne sa vie coûte que coûte, pour consommer et profiter, s’est complétement effondré. Ce n’était plus possible d’être à la fois victime et actrice de la marchandisation du monde. Ce n’était plus possible d’épuiser les clichés populaires positifs pour valoriser des produits de mauvaise qualité que j’avais écartés de ma vie personnelle. Je me suis métamorphosée dans l’attention à mes enfants et au vivant et dans le désir de tendre vers une sobriété matérielle relative et libératrice. J’ai pensé à nous retirer au creux d’une vallée… Mais la mise en pratique progressive des « petits gestes » qui prennent en vrai un temps « de dingue », m’a fait réaliser que le problème comme la solution ne sont pas de l’ordre de la responsabilité individuelle. En circulant à vélo j’ai saisi que l’espace public, comme les communs positifs ou négatifs, peut faire l’objet d’une nouvelle répartition et définition : l’audace individuelle à faire valoir son droit, qui rencontre une dynamique collective ; ce droit est alors réglementé et finit par devenir banal. Aussi j’ai l’intuition que l’existence de l’Economie Sociale et Solidaire ne peut exonérer les entrepreneurs et manageurs de leurs responsabilités envers la société et l’environnement. Enfin j’ai l’espoir que la conscience collective de ce qui peut être fait, de ce qui ne peut pas être fait et des limites à nos actions … va faire bouger le quoi et le comment échanger, communiquer … faire société de demain.
Concrètement, comment se traduit votre engagement dans votre activité au quotidien ? Avez-vous le sentiment de faire un métier différent d’avant/des autres ?
Grâce à la méthode Cloud Spotting basée sur l’exploration du talent de l’entreprise et l’intensité du sens qu’on lui donne, mes clients ont construit des marques qui inspirent des comportements sociaux à leur image. Par exemple Arkose Natural Urban Climbing, fait de l’escalade une pratique constitutive de la vie de quartier. Snap Climbing, confère aux crash pads le rôle d’étendard de la liberté de bouger. Hibana l’immobilier de votre intérieur, rend aux habitants les clés de leur futur cadre de vie.
Est-ce que cela compte ? Est-ce suffisant ? Je me rends compte que la raison d’être des entreprises, pour aussi nécessaire, sincère et émouvante qu’elle puisse être, reste une déclaration. Les outils de la marque que nous manipulons sont conçus pour exprimer une USP , souvent réduite à un prix. Parce que la valeur est plus que monétaire, je finalise un outil pour conceptualiser et gouverner tout ce qui compte dans l’existence de l’entreprise : Deep Value. L’objectif est de pouvoir mesurer comment les entreprises transforment les communs positifs et négatifs, en produits et services qui améliorent la condition des usagers et de la société. Cette matrice permet de visualiser la richesse des entreprises engagées dans une stratégie de valeur. Elle est aussi la trame d’une narration du futur : « il sera une fois … ».
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ? Y a-t-il des idées reçues contre lesquelles vous devez lutter ?
J’ai l’impression que le frein à la communication responsable est l’inertie réglementaire, le manque de pragmatisme. Le décalage, entre la réalité telle qu’elle est présentée par les chercheurs du GIEC et ce que les pouvoirs conventionnels entretiennent, fragilise les capacités d’adaptation des entreprises, et à terme les conditions d’une prospérité partagée. La difficulté que je rencontre, c’est moi-même : ma sensibilité, ma colère, mon impatience rendent mon discours « romantique ». L’injonction qui me stoppe est « fais simple ! ».
À l’opposé, quelles sont les satisfactions que vous trouvez dans votre activité ? Où puisez-vous votre énergie ? Est-ce que vous aimez votre travail/activité et pourquoi ?
J’aime mon métier quand l’effort de conceptualisation de l’existant produit une idée stupéfiante : une idée qui peut faire vibrer de l’intime à l’universel, un peu comme la poésie… Une idée assez belle pour tout à la fois émouvoir et modifier l’état de conscience : ouvrir à de nouveaux comportements et désirs. J’aime mon métier quand le mot ou l’image de la marque, ouvre sur un possible sincère pour l’entreprise et ses publics. J’aime mon métier quand il met en lumière des comportements émergents et que l’on comprend combien ils sont en fait archaïques et nécessaires. J’aime mon métier quand il permet aux entreprises de renouer avec leur dimension profondément vivante.
Pouvez-vous nous présenter un ou deux projets/réalisations dont vous êtes particulièrement fière ?
Cercle des Comptables Environnementaux et Sociaux. Je suis particulièrement fière en ce moment de travailler à rendre visible, compréhensible et désirable la Méthode Comptabilité Care et le Cerces. L’association s’adresse aux entrepreneurs, collaborateurs, administrateurs, experts des métiers du chiffres, étudiants, enseignants, chercheurs et curieux qui souhaitent compter ce qui compte vraiment :) Un pragmatisme écologique, social et financier ! L’ambition est de révéler le caractère performatif de la comptabilité : elle est le sens du monde dans lequel nous interagissons. Avec la Méthode Comptable CARE et les comptabilités de gestion écosystème centrée, nous nous donnons le cadre nécessaire à la liberté responsable d’entreprise, aux échanges en confiance de valeurs et à la prospérité future.
Pour terminer, avez-vous un conseil à donner ou une idée force à transmettre aux lecteurs de ce blog ?
Plus que jamais, les incertitudes que nous subissons nous demandent de savoir observer et réfléchir à partir de nouveaux points de vue. Marcher, se déplacer dans les paysages et les visages, se nicher dans des pleins et des déliés, vivre le vertige d’un interstices, avoir le courage de se sentir étranger … me semble être la meilleure façon de donner aux mondes à venir les mots, les images et les expériences dont nous avons besoin pour nous entendre.
Pour suivre l’actualité de Charlotte, rendez-vous sur son profil LinkedIn ou son site web Cloud Spotting.
La #comresponsable en action
Dans le contexte actuel de remise en question de la filière communication, le cycle d’entretiens « La #comresponsable en action » valorise les professionnelles et les professionnels qui s’engagent dans des pratiques plus responsables. Chez l’annonceur, en agence ou freelance, dans le privé, le public ou le secteur non-marchand, avec une certaine expérience ou un regard neuf… toute la diversité de la filière communication est représentée. Quel a été leur parcours ? Quelles sont les difficultés rencontrées et les sources de satisfaction ? Quels sont les projets dont elles ou ils sont particulièrement fières et fiers ?
Retrouvez sur cette page la liste de tous les témoignages.
Les derniers articles
14 novembre 2024
Greenwashing : aucune entreprise ne veut être la première à se faire condamner
24 octobre 2024