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Un observatoire pour mobiliser le public et recueillir les signalements de pubs problématiques
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 27 octobre 2025

Le 27 octobre 2025, sept associations [1] engagées en faveur de la transformation de l’économie, de l’écologie politique, de la lutte contre l’impunité des multinationales et de la régulation de la publicité lancent l’Observatoire Citoyen de la Publicité (OCP) avec treize partenaires [2].
Cet Observatoire est un outil de signalement participatif des contenus publicitaires abusifs : les discours trompeurs (greenwashing, socialwashing), l’incitation à la surconsommation (par exemple les discours qui incitent à jeter ou accumuler) et les contenus stigmatisants/discriminants (sexisme, racisme, validisme, etc.).
Cette initiative vise l’implication des citoyens dans le débat sur la réforme de la régulation des contenus publicitaires.
Pour ce 22e numéro de Greenwashing News, je donne la parole à Renaud Fossard (cofondateur et délégué général de Communication et démocratie) et Jeanne Wetzels (chargée de mission chez CODE et porte-parole de l’Observatoire). Tous deux nous expliquent la genèse et la finalité de ce projet.

[1] Associations membres fondatrices de l’OCP : Communication et démocratie, HOP – Halte à l’Obsolescence Programmée, Institut Veblen, Les Amis de la Terre – France, Résistance à l’Agression Publicitaire, Sherpa, Zéro Waste France.
[2] Organisations partenaires de l’OCP : Alerte Greenwashing, Alternatiba, Association Addictions France, La Confédération Syndicale des Familles, Eclaircies, Observatoire des Multinationales, Paye Ton Influence, Pépites Sexistes, Perles de greenwashing, Quota Climat, Reclaim Finance, Réseau Action Climat
Dans quel contexte s’inscrit la création de cet observatoire ?
Renaud Fossard : L’idée d’un observatoire citoyen des contenus publicitaires est née d’un double constat.
D’une part, depuis la loi Climat et résilience de 2021, il nous est apparu, chez CODE et chez plusieurs associations proches, que le débat politique sur les enjeux et la régulation de la publicité était arrivé à un certain niveau de maturité, mais que les décisions politiques manquaient de courage et d’ambition. Il nous a semblé nécessaire d’impliquer plus largement les citoyen·nes sur ces sujets, pour réussir à pousser nos décideur·ses à adopter des mesures à la hauteur : interdiction de certains produits particulièrement polluants ou mauvais pour la santé, meilleur encadrement du greenwashing, réduction des incitations au gaspillage ou de la pression commerciale globale.
D’autre part, nous avons considéré que les questions de régulation des contenus devaient être centrales. Il existe écart surprenant entre le sentiment des citoyen·nes d’être abreuvé·es de discours trompeurs et d’incitation à la surconsommation (4 personnes sur 5 considèrent que la publicité pousse à la surconsommation) et le manque d’ambition des pouvoirs publics sur ce sujet ; cette question est évoquée chaque décennie depuis le Grenelle de l’environnement en 2007, mais ce sont grosso-modo les mêmes dispositifs qui sont reconduits.
L’OCP répond à ce manque par la création d’un outil participatif : un espace pour recueillir et mesurer la perception citoyennes sur les discours, analyser les campagnes, produire des études de cas à centraliser dans une sorte de centre de ressources, à destination de toutes celles et ceux qui s’intéressent au sujet (professionnel·les, militant·es, universitaire, journalistes, décideur·ses)/
Il s’agit de proposer une outil de référence au service d’un débat public mieux informé et d’une régulation à la hauteur des enjeux.
Quelle continuité/rupture avec les projets/publications passées ?
RF : Pour notre association, cette initiative marque une nouvelle étape dans notre travaux pour renforcer la régulation de la publicité et de la communication commerciale. En 2022, nous avions publié avec l’Institut Veblen, un rapport fondé sur des travaux scientifiques [3] démontrant que la communication commerciale accroît la consommation globale et que les dépenses publicitaires se concentrent sur quelques grands annonceurs et secteurs particulièrement polluants ou nocifs pour la santé publique. Ce rapport a permis de clarifier les enjeux politiques, notamment écologiques, relatifs à la régulation de la publicité, et s’est également accompagné d’une proposition forte pour réduire la pression commerciale : instaurer une taxe de 8% sur les grands annonceurs dont nous avons mesuré les effets économiques.
Ces travaux se poursuivent, notamment à travers les échanges engagés avec plusieurs ministères et acteurs institutionnels, notamment sur les questions que soulèvent la mise en place d’une telle taxe.
En 2024, nous avons considéré qu’il était temps d’engager nos forces sur le grand chantier de la régulation des contenus publicitaires. C’est dans cette perspective, et en collaboration avec six autres associations partenaires, que nous lançons aujourd’hui l’OCP.
Par ailleurs, contrairement à l’Observatoire indépendant de la publicité qui s’intéressait à l’époque uniquement aux enjeux environnementaux dans les discours publicitaires, l’OCP a vocation à se pencher à une plus grande variété d’enjeux (discriminations/stigmatisation, incitations à la surconsommation, discours trompeurs sur le plan environnemental mais aussi social). De plus, l’OCP s’appuie sur une dynamique participative forte puisque ce sont les citoyennes et citoyens qui sont à l’initiative des signalements de campagnes problématiques, et qu’une vingtaine d’organisations peuvent s’impliquent directement dans le travail d’analyse.
Quelles sont les organisations qui portent le projet et quels sont les objectifs poursuivis ?
RF : À l’origine du projet se trouvent sept associations engagées en faveur de la transformation de l’économie, de l’écologie politique, de la lutte contre l’impunité des multinationales et pour la régulation de la publicité : Communication et démocratie (CODE), Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP), l’Institut Veblen, Les Amis de la Terre – France, Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP), Sherpa et Zéro Waste France.
Notre association (CODE) est à l’initiative du proJet et en assure la mise en œuvre opérationnelle, dans le cadre d’un pilotage collectif avec les 6 autres associations fondatrices.
À leurs côtés se trouvent à ce stade 12 organisations partenaires, incluant des associations de consommateur·ices et des influenceur·ses spécialisé·es : Alerte Greenwashing, Alternatiba, Association Addictions France, La Confédération Syndicale des Familles, Éclaircies, Observatoire des Multinationales, Paye Ton Influence, Pépites Sexistes, Perles de greenwashing, Quota Climat, Ratio Climat, Reclaim Finance, Réseau Action Climat.
Comme les associations membres, ces partenaires pourront publier leur analyses des campagnes signalées sur le site de l’OCP.
L’objectif commun : construire une critique collective des discours véhiculés par les marques et, à terme, interpeller les pouvoirs publics pour faire évoluer les règles qui les encadrent.
Quel regard portez vous sur le dispositif actuel d’autorégulation ?
RF : Nous partons d’un constat simple et quotidien : les campagnes de greenwashing, de socialwashing, d’incitation à la surconsommation ou véhiculant des stéréotypes dégradants – notamment sexistes – continuent d’être massivement diffusées.
C’est donc l’ensemble du dispositif de régulation qui est en question. L’ARPP, qui revendique un rôle central à travers l’autorégulation, n’est pas seule concernée : la DGCCRF et le Ministère de l’Environnement disposent également de prérogatives, mais leurs moyens et leurs mandats demeurent limités.
De notre point de vue, la régulation actuelle est globalement insuffisante et les pouvoirs publics devraient jouer un rôle plus important sur ces sujets. Toutefois, notre objectif n’est pas d’abord de désigner des responsables, mais de donner aux citoyen·nes les moyens d’identifier précisément les lacunes du système.
Pour analyser les publicités signalées, l’OCP s’appuiera sur un ensemble de règles existantes – des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses utilisées par la DGCCRF à la règle déontologique de développement durable de l’ARPP (dans sa version améliorée par les inspecteurs auteurs du rapport interministériel publié en septembre dernier).
Notre ambition, à terme, est de nourrir une critique argumentée du dispositif actuel ; mais pour l’heure, l’enjeu est de mobiliser le public et de recueillir les signalements de publicités jugées problématiques.
Concrètement, quel type de campagne peut-on signaler ? sur quelles thématiques ? comment fait-on sur le site ?
Jeanne Wetzels : Les citoyen·nes peuvent signaler toute publicité commerciale d’entreprises en cours de diffusion en France, qu’elle soit affichée dans l’espace public ou diffusée dans les médias (TV, internet, presse).
L’Observatoire s’intéresse aux campagnes qui posent problème sur trois grands volets : les discours trompeurs (comme le greenwashing ou le socialwashing), l’incitation à la surconsommation (par exemple les discours qui incitent à jeter ou accumuler) et les contenus stigmatisants/discriminants (sexisme, racisme, validisme, etc.).
Le signalement se fait directement et très facilement sur le site internet de l’OCP via un formulaire simple : il suffit d’indiquer la marque, de décrire rapidement ce qui pose problème et, si possible, de joindre un visuel ou un lien vers la campagne en question.
Quelle est la suite donnée à un signalement ?
JW : Chaque signalement est d’abord vérifié par notre équipe pour s’assurer qu’il est recevable (selon des critères précis que les citoyen·nes peuvent consulter sur le site internet). S’il l’est, il est publié sur le site dans la rubrique « publicités signalées ». Cela ne signifie pas que l’accusation portée par le citoyen·ne nous parait fondé, mais seulement qu’elle est cohérente et s’inscrit bien dans notre périmètre. Autrement dit, l’évaluation de recevabilité ne constitue pas un jugement sur le fond.
Si elles ont laissé leur e-mail, toutes les personnes ayant effectué un signalement seront tenues informées des suites qui lui sont données (décision sur la recevabilité, publication du signalement sur le site, raisons pour lesquelles leur signalement a été considéré comme irrecevable).
Certaines campagnes peuvent ensuite faire l’objet d’une analyse approfondie par les organisations expertes membres de l’OCP lorsque celles-ci le jugent pertinent. Ces analyses articulent un décryptage du contenu publicitaire — en décryptant les stratégies sémiotiques du texte et de l’image — et la mobilisation de règles encadrant les discours des marques. Les organisations s’appuient pour cela sur des règles préexistantes, issues du cadre légal ou de normes non contraignantes, et, lorsque celles-ci s’avèrent insuffisantes, elles peuvent mobiliser des règles qui leur paraissent appropriées pour mieux réguler les messages publicitaires.
Les conclusions — que la mauvaise pratique soit confirmée ou non — sont rendues publiques sur le site afin de nourrir le débat, en vue et de faire évoluer la régulation publicitaire.
Là aussi, les personnes qui ont fait un signalement seront informées du « parcours » de leur signalement si elles ont laissé une adresse e-mail (prise en charge de leur signalement pour analyse, publication de l’analyse).
Pour en savoir plus et pour signaler des publicités problématiques, rendez-vous sur le site https://www.observatoirecitoyenpublicite.org.
[3] Taxing Ads? A Bayesian-DSGE, Francesco Turino et Samuel Pelpeuch, 14 october 2025, Economic Modeling. L’article n’est pas encore en ligne, mais l’article a été admis pour publication par la revue scientifique. Lien vers l’article à l’état de working paper : https://drive.google.com/file/d/10cg7RNEAKQAJ9j5y97Mlho13oO54i6Fg/view
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