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Mathilde Audrain : l’ACV fournit les preuves, la communication responsable leur donne du sens
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 01 décembre 2025

Pour ce 25e numéro de Greenwashing News, j’ai le plaisir de recevoir Mathilde Audrain, ingénieure en évaluation environnementale (ACV, biodiversité) et communication responsable, chez EVEA.
Elle est convaincue que l’analyse de cycle de vie (ACV) est un atout important pour consolider la communication RSE d’une entreprise, en particulier parce qu’elle fournit de solides éléments de preuves sur les impacts d’un produit et sur les réductions obtenues via l’éco-conception. Elle insiste aussi sur l’importance de relier ces données à la stratégie, aux engagements et à la démarche globale de l’entreprise, dans une posture de communication responsable.
Extraits :
« L’analyse du cycle de vie apporte des données chiffrées et vérifiables sur les impacts environnementaux d’un produit et sur les progrès réalisés grâce à l’éco-conception . Elle permet aussi de montrer avec transparence où en est une entreprise : ce qu’elle a déjà amélioré, et ce qui reste à faire. »
« Pour éviter le greenwashing, toute communication doit s’appuyer sur des preuves solides et pertinentes. L’ACV répond bien à cette exigence, à condition d’être conduite dans le respect des règles méthodologiques et normatives. Elle permet alors de vérifier que les actions d’éco-conception ciblent bien les principaux enjeux du produit et qu’elles se traduisent par une amélioration mesurable. »
« Mais l’ACV n’est pas le seul outil pour démontrer les progrès accomplis. La communication gagne à dépasser ce seul prisme, en reliant les résultats à la stratégie, aux engagements et à la démarche globale de l’entreprise. Enfin, pour une approche réellement complète, nous encourageons à intégrer aussi les dimensions sociales et à éco-concevoir les supports de communication : c’est en couvrant l’ensemble de ces aspects qu’une organisation peut tendre vers une communication pleinement responsable. »
« L’ACV peut tout à fait s’appliquer à un projet de communication en mesurant les impacts et éco-concevoir des supports de communication, qu’ils soient imprimés (affiches, flyers, PLV, etc.) ou numériques. »
Bonjour Mathilde. Peux-tu présenter ton parcours, l’organisation dans laquelle tu travailles aujourd’hui et tes missions ?
Après une licence en biologie, j’ai suivi un cursus d’ingénieure en génie industriel de l’environnement à UniLaSalle Rennes (EME). Il y a trois ans, j’ai rejoint les équipes d’EVEA à Nantes pour travailler sur l’évaluation des impacts environnementaux de produits et services.
EVEA est une Scop indépendante de conseil, de formation et d’édition logicielle, pionnière de l’éco-socio-conception depuis 2005. Elle accompagne les organisations dans l’amélioration de la performance sociale et environnementale de leurs produits, services et stratégies, en s’appuyant sur l’analyse du cycle de vie, la recherche, la formation et des outils numériques dédiés. Sa richesse tient à la diversité de ses équipes sectorielles : packaging, bâtiment, agroalimentaire, textile, chimie, numérique, etc., qui couvrent ensemble une large palette d’enjeux environnementaux et sociaux.
Pour ma part, j’accompagne aujourd’hui les entreprises sur l’analyse du cycle de vie, l’empreinte biodiversité et l’éco-conception. En parallèle, je me suis spécialisée dans la communication responsable, un sujet qu’EVEA explore depuis plus de dix ans. J’en suis la référente, en interne comme auprès de nos clients, que je forme et accompagne afin de les aider à construire une communication claire, sincère et autonome.
Ta fonction s’intitule « consultante ACV et éco-conception ». Qu’est-ce qu’une analyse de cycle de vie ? Quel est le lien entre l’ACV et l’éco-conception ?
L’analyse du cycle de vie (ACV) est une méthode normalisée (ISO 14040 et 14044) qui évalue les impacts environnementaux potentiels d’un produit, qu’il s’agisse d’un bien, d’un service ou d’une activité, à partir du suivi de ses flux de matières et d’énergie tout au long de son cycle de vie.
L’éco-conception, elle, vise à intégrer les enjeux environnementaux dès la conception et le développement d’un produit, pour en réduire ses impacts sur l’ensemble de son cycle de vie, à service rendu équivalent ou supérieur. Cette démarche, décrite dans la norme NF X30-264 récemment mise à jour, complète l’ACV : l’analyse identifie les sources d’impact, l’éco-conception agit pour les limiter.
L’ACV fournit ainsi une base objective pour orienter les choix de conception et vérifier qu’un produit éco-conçu améliore réellement sa performance environnementale. Cette approche peut également s’étendre aux dimensions sociales : on parle alors d’éco-socio-conception et d’analyse du cycle de vie sociale, encadrée par la norme ISO 14075.
Pourquoi les entreprises ont-elles intérêt à utiliser l’ACV pour les produits (biens et services), dans le cadre de leur démarche RSE ?
Une démarche RSE définit la manière dont une entreprise contribue aux enjeux du développement durable à travers ses activités. L’analyse du cycle de vie (ACV) s’inscrit dans cette logique : elle évalue les impacts environnementaux et, lorsqu’elle est élargie, les impacts sociaux, d’un produit ou d’un service, pour orienter et suivre les actions d’amélioration.
En quantifiant précisément les flux et les impacts, l’ACV aide à identifier les étapes du cycle de vie les plus contributrices et à hiérarchiser les leviers d’action. Elle devient ainsi un outil d’aide à la décision pour guider les choix de conception tout en s’assurant que les améliorations apportées ne créent pas d’impacts ailleurs.
Lorsqu’elle est mise en place de manière récurrente, l’ACV peut aussi servir d’indicateur de suivi de la démarche d’éco-conception et des engagements environnementaux de l’entreprise. Enfin, elle renforce la crédibilité de la démarche RSE en apportant des éléments objectifs et vérifiables à communiquer aux parties prenantes.
Une ACV est donc un atout important pour consolider la communication RSE d’une entreprise, en particulier parce qu’elle fournit de solides éléments de preuve… Est-ce une arme contre le greenwashing ?
Tout à fait. L’analyse du cycle de vie apporte des données chiffrées et vérifiables sur les impacts environnementaux d’un produit et sur les progrès réalisés grâce à l’éco-conception . Elle permet aussi de montrer avec transparence où en est une entreprise : ce qu’elle a déjà amélioré, et ce qui reste à faire.
Pour éviter le greenwashing, toute communication doit s’appuyer sur des preuves solides et pertinentes. L’ACV répond bien à cette exigence, à condition d’être conduite dans le respect des règles méthodologiques et normatives. Elle permet alors de vérifier que les actions d’éco-conception ciblent bien les principaux enjeux du produit et qu’elles se traduisent par une amélioration mesurable.
Comme tout outil d’évaluation, l’ACV a toutefois ses limites : ses résultats dépendent du périmètre choisi, de l’unité fonctionnelle et des hypothèses retenues. Certaines catégories d’impact restent encore en développement, et les résultats reflètent toujours l’état des connaissances à un instant donné. C’est pourquoi il faut veiller à actualiser régulièrement les études et à communiquer uniquement dans le cadre défini.
Dans certains secteurs, ce cadre est déjà très structuré. Dans la construction, par exemple, les règles produits, c’est-à-dire les référentiels sectoriels qui précisent comment réaliser des ACV, permettent d’élaborer des éco-profils ; dans le textile, les ACV alimentent désormais l’affichage environnemental. Ces référentiels offrent aux entreprises une base commune et crédible pour communiquer de façon transparente et responsable.
As-tu des recommandations à formuler sur l’utilisation de l’ACV dans le cadre d’une communication RSE ? Des exemples inspirants à partager ?
Quand une entreprise communique sur des indicateurs environnementaux, la transparence est essentielle : il faut préciser le périmètre de l’étude, la méthode de calcul, les hypothèses retenues et les limites rencontrées. L’idéal est d’accompagner la communication d’un rapport complet d’ACV, accessible ou disponible sur demande.
Pour renforcer la crédibilité des résultats, une revue critique par une tierce partie indépendante peut être réalisée ; elle apporte un regard externe et consolide la fiabilité du message. Et lorsqu’une communication repose sur une comparaison ou une réduction d’impacts, la règle d’or reste de comparer ce qui est réellement comparable : même produit, même périmètre, même unité fonctionnelle.
Je recommande de suivre les lignes directrices des normes ISO 14040/14044 et de la série 14020 sur la communication environnementale. Mais au-delà des chiffres, il me semble important d’intégrer les résultats d’ACV dans une approche plus large : raconter la démarche, les engagements et les progrès accomplis. L’ACV fournit les preuves ; la communication responsable leur donne du sens.
Enfin, pour rendre la démarche plus concrète, d’autres indicateurs complémentaires (masse de matière recyclée, taux de recyclabilité, volume de déchets évités, etc.) peuvent aider à suivre les avancées environnementales de l’entreprise, à condition de rester centrés sur les enjeux prioritaires. Dans ce cadre, la communication des résultats d’ACV joue aussi un rôle de pédagogie et de sensibilisation auprès des parties prenantes.
La communication de Morning et Décathlon sont des exemples inspirants. Les approches sont différentes. Morning facilite la compréhension de sa démarche environnementale en communicant sur ses choix d’éco-conception de son offre de produit. Alors que Décathlon affiche directement une note environnementale de ses produit reposant sur une analyse de cycle de vie.
Nous avons parlé d’ACV appliquée à des produits industriels. Est-ce possible d’appliquer la même méthode d’analyse à un projet de communication ? Quelles sont les précautions à prendre ?
Oui, l’analyse du cycle de vie peut tout à fait s’appliquer à un projet de communication en évaluant son service rendu. Comme pour un produit, il s’agit d’évaluer le service rendu et les ressources mobilisées pour le délivrer. Selon le type de projet, les indicateurs pertinents peuvent être les kilomètres parcourus, les quantités de matière utilisées, le temps d’utilisation des supports ou la consommation d’énergie.
L’ACV est un outil utile pour mesurer les impacts et éco-concevoir des supports de communication, qu’ils soient imprimés (affiches, flyers, PLV, etc.) ou numériques. Par exemple, EVEA a comparé pour un client les impacts d’une vitrine d’affichage numérique et d’une vitrine papier. Les résultats ont montré que la vitrine numérique présente des impacts plus élevés en production et en usage, mais que, rapportés au nombre de messages diffusés, certains indicateurs deviennent plus favorables au numérique. Dès qu’un éclairage est ajouté à l’affiche papier, ses impacts augmentent et peuvent même dépasser ceux du support numérique.
Ces résultats illustrent bien que les impacts dépendent de nombreux paramètres : qualité du papier, logistique, durée de vie des équipements, nombre de messages diffusés, conditions d’éclairage, etc. L’ACV permet d’explorer ces scénarios pour identifier la solution la moins impactante. Elle ne mesure toutefois pas l’efficacité du message ni sa portée, dimensions qui relèvent d’autres approches d’évaluation.
Pour terminer, y a-t-il un message que tu souhaites adresser aux lectrices et lecteurs de cette newsletter ?
S’il y a un message que j’aimerais faire passer, c’est que les résultats d’ACV constituent de solides éléments de preuve lorsqu’ils s’inscrivent dans une démarche d’éco-conception et d’amélioration continue. Pour que cette communication soit fiable, elle doit reposer sur une bonne maîtrise technique et méthodologique ; à défaut, mieux vaut se faire accompagner par des spécialistes, car les règles et les précautions à respecter sont nombreuses.
L’entreprise demeure toujours responsable des messages qu’elle diffuse : en matière d’allégations environnementales, les principes de communication responsable s’appliquent pleinement aux résultats d’ACV. Je recommande toujours de garder un regard critique sur ses propres messages et de vérifier régulièrement leur cohérence pour éviter les pièges du greenwashing.
Mais l’ACV n’est pas le seul outil pour démontrer les progrès accomplis. La communication gagne à dépasser ce seul prisme, en reliant les résultats à la stratégie, aux engagements et à la démarche globale de l’entreprise. Enfin, pour une approche réellement complète, nous encourageons à intégrer aussi les dimensions sociales et à éco-concevoir les supports de communication : c’est en couvrant l’ensemble de ces aspects qu’une organisation peut tendre vers une communication pleinement responsable.
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