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La campagne Shein – Havas Hélia « Au nom de la mode pour tous » contrevient à plusieurs règles déontologiques
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 14 octobre 2025

Au printemps dernier, à quelques semaines de l’examen du vote de la loi anti fast-fashion, la marque Shein lançait une vaste campagne publicitaire intitulée « Au nom de la mode pour tous ».
Cette opération a suscité de nombreuses réactions négatives sur les réseaux et plusieurs signalements auprès du Jury de déontologie publicitaire par des citoyen·nes et l’association France Nature Environnement. L’avis définitif du JDP a été publié le 13 octobre. Il confirme que la campagne contrevient à plusieurs règles déontologiques (Code ICC et Recommandation DD de l’ARPP). Dans ce 21e numéro de Greenwashing News, j’en présente les principaux enseignements.
En résumé, le JDP relève « un manque de clarté de la publicité prise dans son ensemble en ce qu’elle fait étalage d’une démarche très largement vertueuse de l’annonceur en matière de développement durable mais sans donner au consommateur les clefs pour en apprécier réellement la portée, ni le caractère significatif. »
- Des engagements futurs peu clairs et non étayés
- Des chiffres de réduction d’impact environnemental non contextualisés et, parfois, non relativisés
- Droit à la mode : des informations « ni adaptées ni lisibles ni accessibles »
- Des messages « ambigus et problématiques » sur le respect des lois
Je souligne aussi que le JDP a maintenu l’agence Havas Hélia dans la procédure, malgré sa tentative de se défausser sur Shein : « [nous n’étions] pas en mesure de vérifier l’exactitude des informations fournies pas [notre] cliente ». L’agence est co-responsable des contenus diffusés et du non-respect des règles déontologiques. Le nom de l’annonceur et celui de l’agence sont associés à cette affaire. Le « name and shame » les touche autant l’un que l’autre.
La campagne Shein – Havas Hélia « Au nom de la mode pour tous »
La campagne se compose de trois visuels qui montrent chacun une femme portant des vêtements de la marque Shein accompagnés des slogans « La mode est un droit, pas un privilège », « Pourquoi la mode devrait être un luxe ? » et « Pourquoi la mode ne serait réservée qu’aux riches ? ».
Chaque visuel est complété par la phrase : « Chez Shein, nous œuvrons chaque jour pour rendre la mode accessible à toutes et tous, et travaillons chaque jour à l’amélioration continue de notre modèle».
Le public est ensuite renvoyé vers un site complémentaire intitulé « Au nom de la mode pour tous », qui évoque la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile en cours d’examen au Parlement et qui présente quelques éléments de preuve.


Des engagements futurs peu clairs et non étayés
Le Jury observe que « l’annonceur met essentiellement en valeur des efforts et progrès futurs (« 2030 », « 2050 ») mais en omettant d’indiquer quel est l’état des lieux actuel et sans fournir d’éléments comparatifs permettant au consommateur de mesurer ces progrès et, surtout, l’impact de ces progrès en matière de développement durable. »
La publicité (ou un support associé) aurait dû « présenter clairement les conditions particulières qui devraient être réunies pour que l’objectif puisse être atteint ». Selon le jury, la publicité contrevient donc aux exigences déontologiques en matière de clarté du message (point 4 de la Recommandation DD).
Un peu plus loin dans l’avis, le Jury « souligne que ne sont pas respectées les exigences particulières posées par [le code de la Chambre de commerce internationale (ICC)] sur la nécessité pour l’entreprise de démontrer, en termes concrets, qu’elle dispose d’une capacité et d’une approche méthodologique raisonnables pour respecter les objectifs à long terme qu’elle dit pouvoir atteindre. »
Des chiffres de réduction d’impact environnemental non contextualisés
Le JDP souligne par ailleurs que « l’annonceur fournit un grand nombre d’informations accompagnées de chiffres précis mais sans fournir d’éléments permettant, là encore, au consommateur d’apprécier les efforts fournis, étant observé que l’expression d’une quantité en pourcentage pour établir un progrès (réduction de rejet, augmentation de recyclage, diminution de consommation en eau) ne suffit généralement pas à mesurer ces efforts si les données en valeur absolue, ne sont par ailleurs pas accessibles. »
Ces progrès devraient être contextualisés et, le cas échéant, relativisés (points 2, 3 et 7 de la Recommandation DD sur la véracité des actions, la proportionnalité des messages et le vocabulaire) :
- « 19 500 tonnes d’eau économisées » depuis 2022. Mais quelle est la consommation d’eau totale ? Sans cette information, le public est dans l’incapacité de « mesurer à quel point [cette réduction] est significative ou non ».
- « 31 % du polyester utilisé dans les produits de la marque SHEIN sera du polyester recyclé d’ici à 2030 » mais quelle est la proportion aujourd’hui ? Et en 2030, il restera 69% de polyester, « produit dérivé du pétrole, énergie fossile dont l’extraction, la production et le transport sont ne peuvent être présentés comme compatibles avec un développement durable ».
- « 70,5 % de la consommation d’eau réduite par rapport aux méthodes traditionnelles de lavage du denim » mais cette réduction « se rapporte à un seul type de produit commercialisé [et] intervient seulement dans une phase de sa production ».
Le Jury relève aussi « de façon plus générale, qu’alors que l’annonceur signale ses « efforts continus pour décarboner [sa] chaîne d’approvisionnement tout en [s’]approvisionnant de manière plus responsable », cette allégation n’est guère aisément vérifiable pour le consommateur. »
Droit à la mode : des informations « ni adaptées ni lisibles ni accessibles »
Les membres du JDP poursuivent : « Force est également de constater que les informations dont dispose le consommateur ne sont ni adaptées, ni lisibles ni accessibles pour lui permettre de vérifier comment son « droit » à la mode s’exerce effectivement.
En particulier, le consommateur ignore dans quelles conditions son droit à la mode est assuré puisqu’il n’est pas informé des conditions précises dans lesquelles les produits sont fabriqués et sur quelle dynamique la marque entend réellement et concrètement faire peser son action pour conduire à une évolution des pratiques de production mais aussi […] sur la question des déchets potentiels engendrés.
On peut en déduire que le consommateur moyen n’est donc pas en mesure de se faire une idée précise, complète et suffisamment éclairée, à la hauteur des ambitions et objectifs précisément affichés car, en l’état, rien ne lui permet de s’assurer qu’il n’est pas abusé dans sa confiance en tant qu’acheteur potentiel de la marque. »
Des messages « ambigus et problématiques » sur le respect des lois
Le jury relève également que la campagne publicitaire prétend associer le consommateur au débat législatif sur la fast-fashion visant à préserver de modes de consommation excessifs et se référant au développement durable. Elle « fait partager le combat de la marque contre certains principes [du projet de loi] sans lui offrir toutes les informations utiles sur la méthode de fabrication des produits. »
« Associer ainsi le consommateur à ce combat revient en quelque sorte à donner l’impression d’approuver ou d’encourager des actions qui sont susceptibles de contrevenir à la loi, ce qui est contraire à certaines des dispositions de l’article 2 du Code ICC ».
La co-responsabilité de l’agence Havas Hélia
Cette campagne a été réalisée par la très discrète agence Hélia, du groupe Havas, présentée comme une « agence CRM » au moment de sa création en 2017, pour laquelle je n’ai pas trouvé de site web ni de compte officiel sur les réseaux. Ce n’est pas bon signe.
L’avis du JDP nous renseigne sur la posture des agences.
La maison mère Havas : c’est pas nous, c’est l’agence Hélia. « L’agence Havas fait valoir que c’est une agence de son groupe, l’agence Hélia – et non la société Havas proprement dite – qui est intervenue dans la campagne Shein. »
L’agence Hélia : c’est pas nous, c’est l’annonceur. L’agence Hélia « précise avoir réalisé cette campagne en mettant en œuvre toutes les diligences qu’il lui revenait d’accomplir, sur le fondement des informations fournies par sa cliente. » Elle « expose ne pas être en mesure de vérifier l’exactitude de ces informations » et « explique qu’elle ne peut utilement prendre position sur ces dernières et s’en remet à ce sujet aux observations que pourra présenter Shein. » « Pour ce motif, l’agence sollicite sa mise hors de cause dans la présente procédure. »
La réponse du JDP est claire : « La société Hélia qui a confirmé être intervenue dans la campagne publicitaire en qualité d’agence de communication, doit être maintenue dans la présente procédure. » Autrement dit, l’agence est co-responsable des contenus diffusés et du non-respect des règles déontologiques. Le nom de l’annonceur et celui de l’agence sont associés à cette affaire. Le « name and shame » les touche autant l’un que l’autre.
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