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Clémentine Baldon : mettre l’expertise juridique au service de l’intérêt général
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 02 avril 2024
Aujourd’hui, dans ce nouvel épisode du cycle « La #comresponsable en action », nous avons le plaisir de donner la parole à Clémentine Baldon, avocate à impact et pionnière dans la lutte juridique contre le greenwashing des grandes entreprises.
Extraits :
« Mon engagement a complètement transformé mon quotidien : j’ai quitté le monde de l’entreprise, je suis maintenant à la tête de mon propre cabinet, avec un cap clair depuis 6 ans : pas de dossier sans impact. […] J’avais une approche essentiellement technique de la matière juridique alors qu’aujourd’hui le moteur premier de mon activité est le sens. »
« La principale difficulté réside dans l’inégalité des armes parfois criante dans certains dossiers où des associations avec très peu de moyens font face à des multinationales, tout en devant aborder des sujets nécessitant un niveau d’expertise et d’engagement extrêmement soutenu. Il faut aussi lutter contre la simplification et un certain conservatisme pour convaincre les juges, les entreprises et les pouvoirs publics que des pratiques ou règles qui étaient considérées comme normales doivent dorénavant évoluer au regard de la crise écologique et climatique que nous vivons. »
« Ma plus grande satisfaction est de constater que la mobilisation de quelques-uns couplée à l’action juridique peut, d’un coup, faire avancer des causes qui n’ont pas bougé depuis des dizaines d’années. C’est cet impact très concret sur le monde qui me donne la certitude d’être à ma place et me remplit d’énergie pour avancer. »
« Sur le greenwashing, j’ai été pionnière en la matière en lançant dès 2020 pour une association de consommateurs plusieurs actions en justice contre la communication trompeuse d’entreprises notamment autour des allégations de neutralité carbone et de recyclabilité. »
« Passer à l’action – en remettant en cause sa manière d’agir et de travailler – semble souvent risqué, inconfortable ou inutile face à des crises systémiques. Mais c’est en réalité un vecteur considérable pour affronter le sentiment d’impuissance qui peut nous animer et pour atteindre la masse critique permettant de réellement challenger le statu quo. »
Clémentine Baldon : mettre l’expertise juridique au service de l’intérêt général
Bonjour Clémentine et bienvenue sur le blog MJ Conseil. En quelques lignes, pouvez-vous décrire votre parcours et la fonction que vous occupez actuellement ?
Un mot d’abord sur mon parcours académique : j’ai commencé par intégrer une école de commerce – l’ESSEC – sur concours en 1999 puis j’ai suivi en parallèle des études de droit à Paris II Assas. Dans la foulée, j’ai passé le barreau de Paris en 2002 pour devenir avocate et suis également devenue solicitor en Angleterre en 2005.
Dans la lignée de mes études, j’ai commencé ma carrière en droit des affaires (droit de la concurrence, droit européen et « compliance ») à Londres et à Paris d’abord au sein de cabinets d’avocats d’affaires internationaux (Freshfields, etc.) puis à la direction juridique de Bouygues Telecom.
C’était passionnant, mais après 15 ans d’exercice, j’ai ressenti une volonté – une responsabilité même – de mettre mon énergie et mes compétences sur des dossiers avec plus sens et d’impact pour la collectivité. J’ai commencé à donner des cours de droit à l’ESSEC et à travailler en pro bono pour des ONG faisant campagne pour que les règles de droit international ne soient plus un verrou à la transition écologique. En 2018, j’ai passé le pas, et j’ai fondé mon cabinet d’avocats, Baldon Avocats, pour continuer à accompagner les ONG de protection de l’environnement et conseiller des entreprises souhaitant s’engager davantage.
À quel moment avez-vous « basculé » dans une approche plus responsable de votre métier ? Savez-vous ce qui a provoqué votre prise de conscience ?
J’identifie deux points de bascule :
D’abord en 2016 une conférence du directeur RSE de Bouygues qui m’a sensibilisée à l’urgence de la crise climatique. C’est là que j’ai décidé de travailler sur les sujets environnementaux.
Ensuite, en 2017, mon premier dossier en pro bono pour la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) et l’Institut Veblen, sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (le CETA). J’ai rédigé en quelques semaines une saisine devant le Conseil constitutionnel visant les mécanismes d’arbitrage d’investissement contenu dans cet accord. C’était un défi énorme : l’accord fait plus de 1 000 pages et est très technique. Ce sujet est d’ailleurs toujours d’actualité, puisque le Sénat vient de refuser de ratifier le CETA !
Ce travail m’a fait prendre conscience à la fois de l’ampleur des obstacles que peut faire peser le droit international sur la transition, mais aussi sur ma capacité à mobiliser mes compétences juridiques issues du droit des affaires pour faire avancer ces sujets d’intérêt général. Cela a été le déclic pour me lancer.
Concrètement, comment se traduit votre engagement dans votre activité au quotidien ? Avez-vous le sentiment de faire un métier différent d’avant/des autres ?
Mon engagement a complètement transformé mon quotidien : j’ai quitté le monde de l’entreprise, je suis maintenant à la tête de mon propre cabinet, avec un cap clair depuis 6 ans : pas de dossier sans impact.
Concrètement c’est une approche de l’exercice du droit sensiblement différente qu’auparavant. Dans mes métiers précédents, j’étais experte d’une certaine spécialité juridique (droit de la concurrence, droit européen, règlementaire…) que je mettais à disposition de clients ou de mon employeur. J’avais une approche essentiellement technique de la matière juridique alors qu’aujourd’hui le moteur premier de mon activité est le sens.
Quand j’ai fondé Baldon Avocats, c’était avec la vision très claire de mettre à profit mon expertise juridique au service de cas visant un intérêt général, que ce soit pour des associations ou des entreprises. Je choisis les clients que le cabinet accompagne parce nous avons des objectifs communs, compatibles avec une vision durable du monde. Le droit est alors un outil au service de ces objectifs ou, parfois, un obstacle potentiel que l’on s’attache à faire évoluer.
J’ai également une pratique beaucoup plus innovante du droit via les contentieux stratégiques pour des associations (l’Affaire du siècle, les actions en greenwashing…) et l’accompagnement d’entreprises au changement pour anticiper les attentes de plus en plus exigeantes de la société.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ? Y a-t-il des idées reçues contre lesquelles vous devez lutter ?
La principale difficulté réside dans l’inégalité des armes parfois criante dans certains dossiers où des associations avec très peu de moyens font face à des multinationales, tout en devant aborder des sujets nécessitant un niveau d’expertise et d’engagement extrêmement soutenu.
Il faut aussi lutter contre la simplification et un certain conservatisme pour convaincre les juges, les entreprises et les pouvoirs publics que des pratiques ou règles qui étaient considérées comme normales doivent dorénavant évoluer au regard de la crise écologique et climatique que nous vivons. Cela nécessite parfois des démonstrations complexes mobilisant des expertises non seulement juridiques mais aussi économiques et scientifiques. Or la justice française a des ressources très limitées pour aborder cette complexité.
À l’opposé, quelles sont les satisfactions que vous trouvez dans votre activité ? Où puisez-vous votre énergie ? Est-ce que vous aimez votre travail/activité et pourquoi ?
Ma plus grande satisfaction est de constater que la mobilisation de quelques-uns couplée à l’action juridique peut, d’un coup, faire avancer des causes qui n’ont pas bougé depuis des dizaines d’années (je pense notamment à une action que je mène contre le Traité de la charte de l’énergie). C’est cet impact très concret sur le monde qui me donne la certitude d’être à ma place et me remplit d’énergie pour avancer. C’est aussi la satisfaction de travailler dans un écosystème – mon équipe, mes clients, les experts, les professeurs – créatif, engagé et qui sait travailler collectivement pour affronter des défis majeurs.
Je suis souvent contactée par des consoeurs et confrères à la recherche de conseils pour réorienter leur activité. Cela me rappelle la chance que j’ai d’avoir trouvé la manière d’exercer ma profession d’avocate autour du sens et de l’intérêt général.
Pouvez-vous nous présenter un ou deux projets/réalisations dont vous êtes particulièrement fière ?
Ma participation à l’Affaire du Siècle : pour la première fois, en 2018, l’action juridique a impulsé une formidable mobilisation citoyenne, avec une pétition dépassant les deux millions de signatures. Avec une victoire véritablement historique en 2021, puisque les engagements climatiques de l’État sont désormais contraignants et que les juges ont reconnu que l’inaction de l’État causait un préjudice écologique.
Un autre dossier dont je suis particulièrement fière concerne le Traité sur la Charte de l’Énergie. C’est un traité très problématique car il permet à des entreprises du secteur de l’énergie d’attaquer les Etats en cas de changement règlementaire trop brusques et d’exiger des indemnisations considérables devant des tribunaux arbitraux (qui ne présentent pas les mêmes garanties d’indépendance que des juges). C’est pourquoi nous avons attaqué ce traité devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme avec 6 jeunes Européens. L’action est encore en cours mais nous avons déjà réussi, avec des associations qui se battent contre ce traité depuis des années, à en faire un sujet brûlant, au point que l’UE est en train de valider sa sortie du Traité !
Enfin, sur le greenwashing, j’ai été pionnière en la matière en lançant dès 2020 pour une association de consommateurs plusieurs actions en justice contre la communication trompeuse d’entreprises notamment autour des allégations de neutralité carbone et de recyclabilité. Certaines de ces actions sont toujours en cours mais elles ont déjà conduit à des changements majeurs dans la communication des entreprises visées et ont incité d’autres associations à s’emparer du sujet. Indirectement elles ont aussi contribué à l’évolution de la législation.
Début 2024, vous avez conçu deux Master Class avec Mathieu sur le thème du greenwashing, la première à destination des équipes communication et marketing et la seconde dédiée aux équipes juridiques. Pour quelles raisons ? Quels sont les enjeux ?
En tant qu’avocate, je travaille sur le greenwashing depuis près de cinq ans et, sur ce temps, j’ai déjà observé des évolutions majeures : d’un côté les allégations environnementales se sont généralisées créant une méfiance croissante chez les consommateurs envers les discours « verts » des entreprises ; de l’autre, en réponse à cette tendance, le greenwashing est de plus en plus scruté et dénoncé par les associations et fait l’objet d’une règlementation qui devient chaque jour plus contraignante. Les entreprises ne peuvent plus l’ignorer.
Dans ce contexte de défiance généralisée, de complexification législative et de judiciarisation du greenwashing (par exemple la très récente condamnation de KLM pour des allégations sur l’aviation durable et la compensation carbone), les acteurs doivent monter en compétence sur ces sujets. Il devient essentiel pour les entreprises qui veulent communiquer sincèrement sur leurs actions de se former, de comprendre les enjeux de la communication responsable à la fois pour limiter leurs risques juridiques et réputationnels mais aussi en interne pour mobiliser leurs équipes.
C’est l’objet de la formation que nous avons conçue avec Mathieu. Elle vise à donner les outils aux équipes marketing et communication pour valoriser leur démarche RSE sincère sans de tomber dans le greenwashing et permettre aux juristes de s’approprier le cadre juridique et anticiper les évolutions législatives. Notre complémentarité nous permet d’avoir un regard technique des risques juridiques couplé à une approche très opérationnelle axée sur les solutions.
Pour terminer, avez-vous un conseil à donner ou une idée force à transmettre aux lecteurs de ce blog ?
Il nous appartient de transformer le système afin qu’il permette un avenir plus durable et juste. La communication fait partie intégrante de ce système via notamment la publicité et les récits qu’elle véhicule. Il faut donc également jouer sur ce levier.
D’un point de vue personnel, passer à l’action – en remettant en cause sa manière d’agir et de travailler – semble souvent risqué, inconfortable ou inutile face à des crises systémiques. Mais c’est en réalité un vecteur considérable pour affronter le sentiment d’impuissance qui peut nous animer et pour atteindre la masse critique permettant de réellement challenger le statu quo.
Pour suivre l’activité de Clémentine, rendez-vous sur son profil LinkedIn ou le site de son cabinet Baldon Avocats.
Et cliquez ici pour découvrir le programme des Master Class Greenwashing.
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