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Le Tribunal de commerce de Valenciennes se prononce sur une affaire de greenwashing
Rédigé par Mathieu JAHNICH, publié le 29 janvier 2025

Dans ce nouveau numéro de la newsletter Greenwashing news, je partage les résultats et les enseignements d’une ordonnance rendue le 20 décembre 2024 par le Président du Tribunal de commerce de Valenciennes suite à un litige opposant deux PME nordistes du secteur de la construction et portant sur des accusations de greenwashing.
L’affaire oppose deux sociétés spécialisées dans la conception et/ou la distribution de solutions de protection et d’étanchéité des bâtiments. Ce sont deux aspects de cette affaire complexe qui m’intéressent tout particulièrement. L’une des sociétés reproche notamment à l’autre d’utiliser :
- les mentions « écologique » et « éco-responsable » ou, après modification, la mention « plus éco-responsable », et des logos en forme de feuille pour désigner certains produits ;
- les allégations « recyclable » et « 100% recyclable » ainsi que la boucle de Möbius, symbole universel du recyclage, pour des produits qui ne seraient in fine pas recyclés.
La société à l’origine de cette action estime que de telles allégations constituent des pratiques commerciales trompeuses et sollicite des mesures de nature à faire cesser ces troubles ainsi que des dommages et intérêts et des mesures de publication pour informer le marché.
Vous trouverez ci-après les principales décisions du Président du Tribunal de commerce, statuant en référé, sur ces allégations environnementales et mes réactions. Un appel étant en cours, ce jugement n’est pas définitif mais il nous renseigne sur une lecture possible du cadre réglementaire anti-greenwashing par une juridiction.
Je précise que j’ai été sollicité dans cette affaire par l’avocat de la société en demande pour présenter un avis extérieur et indépendant sur certaines communications environnementales de la société poursuivie.
Sur les mentions « éco-responsable » ou « plus éco-responsable »
Le litige porte sur l’utilisation des mentions « écologique » et « éco-responsable » ou, après modification, la mention « plus éco-responsable » et des logos en forme de feuille pour la promotion de certains de ses produits pare-vapeur d’étanchéité.
En faisant référence à la directive 2005/29/CE22 sur les pratiques commerciales trompeuses et sa transposition en droit français (articles L 121-1 et suivants du Code de la consommation), le Président du Tribunal confirme que ces allégations environnementales sont prohibées. En conséquence, le tribunal ordonne à la société concernée « de supprimer de sa communication les allégations environnementales incriminées ».
En revanche, le Président du Tribunal ne va pas jusqu’à qualifier cette pratique de trompeuse en considérant qu’il n’est pas prouvé que ces allégations « éco-responsable » et « plus éco-responsable » « altèrent de façon substantielle le comportement du consommateur normalement informé, raisonnablement attentif et avisé. »
Enfin, le Président du Tribunal ne se prononce pas sur l’usage de pictogrammes en forme de feuille.
Sur les allégations de recyclabilité
Le débat porte également sur l’utilisation des allégations « recyclable » et « 100% recyclable » et le symbole du recyclage (boucle de Möbius) pour des produits de type membrane et pare-vapeur posés sous toiture.
Se référant aux critères de recyclabilité définis par la loi AGEC et intégrés au Code de l’environnement, la société à l’origine du procès estime que la recyclabilité d’un produit s’entend comme la capacité de recyclage « effective » et non juste théorique. Or, les produits concernés de la marque concurrente ne seraient, selon elle, pas recyclés du fait de l’absence de process de récupération et de recyclage de ces produits. Elle ne devrait donc pas pouvoir utiliser ces allégations.
La décision du Président du Tribunal indique : « Selon le guide des allégations environnementales [du CNC], un produit est recyclable lorsque le produit, un emballage ou un composant associé peut être prélevé du flux des déchets par des processus et des programmes disponibles et qui peuvent être collectés, traités et remis en usage sous forme de matières premières ou de produits (norme Iso 14021). […]
Le ruban de Möbius signifie que l’emballage ou le produit est recyclable ou valorisable. Il vise à informer l’utilisateur final du caractère recyclable du produit. Il informe que le produit ou l’emballage est techniquement recyclable. ».
Pour autant, le Président du Tribunal ne dit rien sur l’application de ces principes au cas précis qui lui a été soumis et a finalement débouté la société en demande de cet aspect sans nous éclairer sur les raisons ou motifs d’une telle position.
Les enseignements et questionnements que je retire de cette affaire
Comme je le précisais en introduction, cette décision rendue par le Président du Tribunal de commerce n’est pas définitive : un appel est en cours. Sans préjuger des suites qui seront données à cette affaire et des jugements futurs, voici les réflexions qu’elle m’inspire.
Tout d’abord, cette affaire montre que le risque judiciaire lié à l’utilisation d’allégations environnementales n’est pas limité aux grandes entreprises, suite à des actions d’ONG de défense des consommateurs ou de protection de l’environnement (FNE contre Coca-Cola, CLCV contre Volvic, Zero Waste contre Adidas…). Toute entreprise peut être attaquée devant le tribunal de commerce, par un concurrent, pour soupçon de pratique commerciale trompeuse. Pour une présentation de cette judiciarisation du greenwashing, je vous invite à consulter le 3e opus de ma newsletter.
Sur l’affaire, la décision est sans équivoque sur le fait que les mentions « produit écoresponsable » et même « produit plus écoresponsable » sont prohibées : l’entreprise fautive doit supprimer ces allégations environnementales de sa communication. Cette décision devrait appeler les entreprises et leurs agences à la plus grande prudence dans le maniement de ce type d’allégations.
- Pas de surprise pour l’allégation globalisante « éco-responsable ». Dans son article 13, la loi AGEC indique clairement : « Il est interdit de faire figurer sur un produit ou un emballage les mentions « biodégradable », « respectueux de l’environnement » ou toute autre mention équivalente ».
- La décision était moins évidente pour l’allégation « plus écoresponsable ». Le Tribunal ne précise pas si l’allégation est prohibée par principe (en considérant qu’il s’agit d’une mention équivalente à « respectueux de l’environnement ») ou si, dans le cas présent, les preuves d’un moindre impact environnemental étaient insuffisantes.
Par ailleurs, j’aurais aimé connaître l’avis du président du Tribunal sur le pictogramme en forme de feuille. C’est un élément graphique qui est très souvent utilisé sur le web, les réseaux sociaux, les plaquettes commerciales… et qui me parait de nature à induire le public en erreur sur l’impact environnemental des produits. Mais il n’en est pas fait mention dans la décision.
Concernant l’allégation de recyclabilité, il est étonnant que le Tribunal ne tienne pas compte des précisions apportées par la Loi AGEC (Décret n° 2022-748 du 29 avril 2022) : « La recyclabilité s’entend comme étant la capacité de recyclage effective des déchets issus de produits identiques ou similaires. La recyclabilité est caractérisée pour ces déchets par :
- La capacité à être efficacement collecté à l’échelle du territoire, via l’accès de la population à des points de collecte de proximité ;
- La capacité à être trié, c’est-à-dire orienté vers les filières de recyclage afin d’être recyclé ;
- L’absence d’éléments ou substances perturbant le tri, le recyclage ou limitant l’utilisation de la matière recyclée ;
- La capacité à ce que la matière recyclée produite par les processus de recyclage mis en œuvre représente plus de 50 % en masse du déchet collecté ;
- La capacité à être recyclé à l’échelle industrielle et en pratique, notamment via une garantie que la qualité de la matière recyclée obtenue est suffisante pour garantir la pérennité des débouchés, et à ce que la filière de recyclage puisse justifier d’une bonne capacité de prise en charge des produits pouvant s’y intégrer. »
Enfin, je retiens la difficulté à démontrer qu’une allégation constitue une pratique commerciale trompeuse, en particulier qu’elle « altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » (article L121-1 du Code de la Consommation). Et ce bien que les caractéristiques environnementales des produits apparaissent aujourd’hui de plus en plus déterminantes pour les clients.
Exemple de visuels incriminés
Voici des exemples de visuels utilisés par l’entreprise poursuivie pour désigner certains de ses produits :


Ci-dessous le visuel tel qu’il a été modifié en cours de procédure :

Photo de couverture : Vue du Tribunal de commerce de Valenciennes (cc Daniel Jolivet / sybarite48).
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